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Pour Bernard Alligand et ses amis islandais. Michel Butor.
Enfant j’aimais beaucoup entendre lire les livres en particulier le soir avant de m’endormir. Plus tard j’ai beaucoup aimé lire moi-même à mes enfants, petits-enfants, à mes élèves ou étudiants. Mais j’aimais aussi beaucoup regarder les livres, feuilleter ces objets dont je connaissais plus ou moins la langue.
Les manuscrits du Moyen-Âge m’émerveillent toujours, comme les grands livres illustrés. Les réussites de Mallarmé, d’Apollinaire, et des peintres cubistes ont encouragé mes recherches sur les aspects visuels du texte : sa disposition, sa couleur, les relations entre ce cas particulier du dessin qu’est l’écriture avec toutes les autres sortes d’images.
Les livres en collaboration avec des artistes ont été un laboratoire privilégié. Chacun de ceux avec lesquels j’ai travaillé, quels que soient leurs moyens d’expression : peinture, gravure, photographie ou même cinéma, a été un guide vers de nouvelles régions de mon imagination. Essayant de trouver quelque chose qui aille avec ce qu’ils font, je suis obligé de fouiller, d’inventer, de réfléchir, de partir à la découverte.
Jadis, chez les peuples du livres, les hébreux, les chrétiens, les musulmans, le texte venait toujours en premier, l’image était servante : elle ornait, illustrait, complétait, commentait. Aujourd’hui les relations s’inversent souvent. Chaque fois c’est une autre aventure. Ils m’ont fait ouvrir dans mon château de nouvelles chambres, de nouvelles fenêtres sur le monde. Ma reconnaissance envers eux est inépuisable.
Les progrès de l’informatique nous ouvrent de nouvelles possibilités. Souvent aujourd’hui c’est grâce à elles que nous avons communication des ouvrages anciens. Le livre a de nouveaux supports qui nous permettent non seulement d’ouvrir de nouvelles perspectives mais de mieux comprendre les chefs-d’œuvre antérieurs. L’imprimerie a mis ce qui était manuscrit à la disposition d’un beaucoup plus grand nombre ; les moyens modernes de reproduction poursuivent cette évolution.
Contrairement à ce que beaucoup s’imaginent nous ne sommes qu’à l’aube de ses transformations. Une nouvelle littérature commence qui nous révélera les trésors de l’ancienne que nous ne savons pas encore discerner, fondant une nouvelle humanité avec ses sagas surprenantes, dont je ne verrai pas l’avènement mais à laquelle je ne puis que souhaiter bonne chance.
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Michel Butor. 08/2014
Poète, romancier, essayiste, critique d'art et traducteur français, Michel butor est né à Mons-en-Barœul (Nord) le 14/09/1926 et mort le 24/08/2016 à Contamine-sur-Arve (Haute-Savoie), célèbre pour son roman La Modification (1957), ouvrage majeur du nouveau roman, pour la part de son œuvre consacrée aux livres d'artistes, et pour ses travaux universitaires sur la littérature française.1957 Prix Fénéon L'Emploi du temps, 1957 Prix Renaudot La Modification,1960 Prix de la critique littéraire Répertoire, 1998 Grand prix du romantisme Chateaubriand Improvisations sur Balzac, 2006 Prix Mallarmé Seize Lustres, 2007 Grand prix des poètes de la SACEM, 2013 Grand prix de littérature de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre, 2016 Grand prix de poésie de la SGDL.
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